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La conception du temps et de l'espace dans la musique de Toshio Hosokawa #2

Par Yite Chang


II. Biographie du compositeur



Toshio Hosokawa est né le 23 octobre 1955 au Japon, dans la banlieue d’Hiroshima. L’art traditionnel japonais est fortement présent dans sa famille : son grand-père est un maître d’ikebana[1], sa mère est professeur de koto[2]. Dans son jeune âge, il trouve que ce monde traditionnel est ‘‘monotone’’[3].


Il apprend très tôt à jouer le piano, et s’intéresse particulièrement à la musique de Mozart et Beethoven, puis plus tard J.S. Bach et Schubert. Pour lui, seule la musique européenne compte. La musique japonaise est synonyme de musique pour les personnes âgées.


C’est à 15 ans qu’il découvre la pièce November steps de Toru Takemitsu[4] à la radio. La pièce est composée pour orchestre avec biwa[5] et shakuhachi[6], deux instruments traditionnels japonais. Après cette découverte qui le fascine, Hosokawa décide de se consacrer entièrement à la musique. L’année suivante, il commence ses études de musique à Tokyo, où le jeune compositeur trouve son inspiration dans les œuvres pour orchestre du compositeur coréen Isang Yun[7].



En 1976, Hosokawa s’installe à Berlin à l’âge de 21 ans pour aborder plus en détails la musique occidentale. Admis à la Hochschule für Kunst de Berlin, il y étudie la composition auprès d’Isang Yun, l’analyse et la théorie musicale avec Witold Szalonek et le piano avec Rolf Kuhnert.

C’est à Berlin que Hosokawa se sent pour la première fois conscient d’être un japonais. Il dit lui-même que « le Japon est une île, très enfermée et homogène, et on ne sait pas qu’il existe d’autres races (völker) dehors. »[8]


A cette époque-là, ses premières oeuvres sont créées : Winter Bird à Lübeck en 1978, Melodia à Hannover et Melodia II à Frankfurt-sur-le-Main en 1979. En 1980, avec son œuvre Jo-Ha-Kyu pour flute, violon, alto et violoncelle, il remporte le prix du concours de composition Valentino Bucchi à Rome.



 

De nombreuses créations suivent dans les années suivantes ; en 1982, Hosokawa compose Nocturne pour koto à 17 cordes, c’est la première pièce qu’il compose pour un instrument traditionnel japonais. Hosokawa s’inspire de Toru Takemitsu dont il étudie énormément ses premières œuvres ainsi que son mode de pensée.


« Il cherchais une sonorité japonaise : Il n’imitait pas simplement les concepts européens mais voulait développer sa propre musique. » dit Hosokawa à propos de Takemitsu dans Conversation avec Jacky Vonderscher.[9]


La même année, Hosokawa assiste à une performance de Gagaku, la musique de cour japonaise. Ses années à Berlin lui permettent donc de découvrir consciemment sa propre culture : la musique traditionnelle japonaise avec le Gagaku, les chants de moine bouddhistes et la musique de koto.

Il comprend à ce moment-là la beauté de la musique ancienne, qui lui rappelle son enfance, sa mère jouant du Koto, et commence ainsi à réfléchir à sa propre musique. Il dit dans une interview avec Jacky Vonderscher :


« A cette époque-là, j’étudiais la musique contemporaine en Europe et j’étais préoccupé par la micro-tonalité et les clusters. Avec ces oreilles j’écoute encore une fois notre musique ancienne. Et là pour la première fois, j’ai compris à quel point c’est beau. J’ai maintenant différentes oreilles et soudain je sens une nostalgie puissante pour Japon. »[10]



Son professeur Isang Yun, poussé par son expérience d’exil en tant que coréen en Europe, encourage également Hosokawa à se tourner vers sa propre culture. Yun est aussi pour lui l’un des modèles qui crée une musique internationale par des moyens musicaux européens tout en étudiant la musique contemporaine occidentale et la musique traditionnelle coréenne.[11]


« En tant qu’asiatique, Yun a composé une musique contemporaine qui non seulement transmet une ambiance asiatique, mais contient aussi une pensée et une substance asiatiques. C’est là que j’ai commencé à réfléchir à cette problématique. »[12]


Hosokawa commence donc à centrer son travail sur l’unification des traditions de l’est et de l’ouest. Il le dit lui-même lors d’une interview avec Christoph Wagner :

« Ma préoccupation principale en tant que compositeur japonais est de connecter la tradition de l’est avec celle de l’ouest. Depuis 140 ans, Japon s’empare de la musique européenne ; au cours de ce processus, il a oublié ses propres racines. Nous nous sommes complètement westernisés. »



 


Son style de composition est tellement influencé par Yun autour de 1982-83 qu’il pense qu’un retrait est maintenant nécessaire. Depuis 1981 ou 1982, il suit les cours de Helmut Lachenmann et Brian Ferneyhough au stage d’été de Darmstadt. En suivant sa volonté de vouloir étudier aussi avec un professeur européen, Hosokawa est allé à Freiburg-im-Breisgau pour d’abord prendre cours avec Ferneyhough.


C’est ainsi qu’il prend contact avec Klaus Huber, étant admiratif de sa musique, et devient ensuite son élève à la Hochschule für Musik de Freiburg-im-Breisgau en 1984. Il fait à cette époque-là également rencontre avec Nono, Lutosławski et Boulez, à l’occasion de l’invitation semestrielle d’un compositeur européen.


Il reçoit une prestigieuse commande de la part du directeur du théâtre national de Tokyo : Toshiro Kido. Elle consiste en la composition d’une pièce contemporaine pour orchestre gagaku. Son professeur de composition, Klaus Huber, lui accorde une pause sabbatique de six mois pour qu’il puisse s’engager intensivement dans la musique traditionnelle japonaise.


« Huber m'a poussé à étudier la musique japonaise, à y plonger encore plus profondément mes pensées. Certes, je connaissais déjà la musique japonaise, mais pas assez profondément. Je suis donc retourné au Japon pendant six mois pour étudier la musique japonaise et la religion du bouddhisme Zen. C'était un moment extrêmement important pour moi. À partir de là, j'ai commencé à composer ma propre musique. Huber nous a strictement interdit d'écrire comme il l'a fait. Lorsque cela s'est produit, il l'a critiqué assez fortement. Je devais développer ma propre musique. »[13]


Il retourne donc au Japon, à Tokyo, pour étudier le répertoire, les instruments et l’histoire mais aussi le shōmyō[14] et shō[15]. Dans le même temps, Hosokawa trouve son inspiration dans la pensée de Kakichi Kadowaki – philosophe, maître Zen et prêtre catholique.


Le 30 octobre 1985, sa pièce Tokyo pour shōmyō et orchestre gagaku est créée à Tokyo par l’ensemble Tokyo Gakuso.


Cette création donne à Hosokawa l’opportunité de travailler intensivement avec les musiciens de l’ensemble ; il fait notamment la rencontre de la joueuse de shō Mayumi Miyata. Cette dernière lui montre en détails le rôle que joue son instrument dans l'ensemble, clarifiant ainsi les différences majeures avec la musique d'ensemble européenne.



 


Hosokawa commence à diversifier ses sources d’inspiration en se tournant vers d’autres arts. En 1990 et 1996, il écrit la musique des film L'Aiguillon de la mort (Shi no Toge) et l’homme qui dort (Nemuru otoko) du réalisateur japonais Kōhei Oguri. A partir de 1997, Hosokawa commence à travailler sur la série Voyage : les trois premières compositions s’inspirent d’un cycle de 10 images de la peinture Zen. En 1997, La création du Voyage I pour violon et ensemble a lieue au Witten Festival for New Chamber Music, viennent ensuite Voyage II pour basson et ensemble à Paris et Voyage III pour trombone et ensemble à Amsterdam.


Après avoir écrit des pièces pour orchestre gagaku, permettant sa modernisation, Hosokawa fait la création de son premier opéra Vision of Lear en 1998. Il s’agit d’une modernisation du théâtre japonais Nô. Bien qu’il emploie des mouvements standardisés strictement stylisés pour les acteurs et beaucoup de sons provenant du théâtre Nô, aucun instrument japonais n’est utilisé, seuls des instruments occidentaux, la percussion occupant une place de premier plan. Le texte est basé sur King Lear de Shakespeare, d’où le nom de l’opéra vient.


La combinaison de la culture japonaise et occidentale lui fait utiliser des instruments et langages différents, elle se retrouve aussi dans les titres, formes, texte et matériaux sonores qu’il utilise. Ceci lui permet d’un temps et espace musical différent qui sera étudié dans la partie IV et V.





 

[1] « La voie des fleurs » ou « l'art de faire vivre les fleurs » [2] Instrument de musique japonais à cordes pincées de la catégorie des cithares sur table [3] Voir Christina Zeller, 2010 [4] Compositeur japonais (1930-1996) [5] Luth japonais piriforme à plusieurs touches et cordes en soie [6] Flûte japonaise de bambou à cinq trous, droite, d’origine chinoise [7] Compositeur coréen (1917-1995) [8] Voir Christoph Wagner, 2003 [9] Voir Jacky Vonderscher, 2010 [10] Voir Jacky Vonderscher, 2010 [11] Voir Jacky Vonderscher, 2010 [12] Voir Basho in Europa, 1997 [13] Voir Jacky Vonderscher, 2010 [14] Un style de chants et récitations liturgiques bouddhiques, à l'unisson ou en canon [15] Le nom japonais de l'orgue à bouche chinois. Le musicien souffle dans l'embouchure en bas à droite de l'instrument.

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