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The conception of time and space in the music of Toshio Hosokawa #5

  • Writer: Yi-Te Chang
    Yi-Te Chang
  • Mar 14, 2022
  • 7 min read

Par Yite Chang


V. La conception de l’espace



1) Vision du monde


Lespace intérieur et extérieur

La conception japonaise de l’espace comporte quelques subtilités que ne possède pas la pensée occidentale. Katō[1] la présente ainsi : « Concernant l’espace, la culture japonaise distingue l’intérieur de l’extérieur, distinction non pas physique, mais culturelle : Une personne parmi nous, c’est-à-dire à l’intérieur, est comme nous alors que la personne extérieure au groupe ne l’est pas. » [2]

« Katō indique que cette conception de l’espace privilégie la partie avant le tout, l’ici ressenti à ce moment présent dans ce lieu, le phénoménal et le sensible avant tout raisonnement, ainsi que le particulier avant l’universel. » [3]


Ainsi, la culture japonaise attribue des qualités différentes selon que deux objets de même nature se situent ou proviennent de l’intérieur ou de l’extérieur, exacerbant ainsi la différence entre l’intérieur et l’extérieur qui devient une qualité interne aux objets.


Hosokawa favorise cette conception de l’espace dans ses œuvres d’ensemble avec soliste dans la façon de connecter le groupe et le soliste. Il décrit pour sa pièce Moment of Blossoming[4] le soliste comme « représentant de la fleur de lotus, et l’orchestre comme ce qui entoure la fleur, c’est-à-dire le cosmos, la nature, l’eau, un étang. »[5] Différence entre le soliste et l’orchestre.


Ici l’intérieur et l’extérieur sont suggérés comme l’homme et l’univers, c’est-à-dire l’homme fait appel à l’univers, ce qui est à l’extérieur, et l’univers lui réponde.




Le monde physique et spirituel Dans la partie IV, nous voyons que Hosokawa se sert des matériaux sonores pour effacer la frontière entre le son et le silence. Dans le même temps, il travaille sur cet espace du “ma” qui établit une connexion entre les deux mondes différents : le son et le silence. Que veut-il connecter ?

Dans son écrit « Aus der Tiefe der Erde », Hosokawa donne encore un Haïku de Bashô :


Yagate shinu - keshiki wa meinu - semi no koe

(Bientôt ils mourront - sans voir le paysage - voix de cigales)


Voici ses commentaires à propos de ce dernier :

« Ici les voix de la cigale font allusion au monde après la mort, le monde des ténèbres. On suggère un monde qui est au-delà de la vue, c'est-à-dire que le paysage ne peut être vu, un monde à la fin des temps, c'est-à-dire en train de mourir bientôt. Ce n'est pas ce monde qui est indiqué par le son, c'est-à-dire le vrombissement des cigales. Mais le monde au-delà, un monde dans lequel la frontière entre ce côté et le suivant disparaît. …, dans l'œuvre de Bashô il y a beaucoup de poèmes que j'aimerais réaliser à travers ma composition en musique. »[6]


Les voix de cigales ne représentent pas la voix de ce monde, notre monde visible, mais la voix du monde à la fin des temps, qui n’est plus visible pour l’être humain. Il voyait dans la vision poétique de Bashô une possibilité de ne plus avoir une frontière pour séparer la vie d’ici, et la vie dans un au-delà, dans un monde supérieur. Il cherche ainsi à travailler directement sur la création d’un monde autre, basé sur des principes différents.

Voyages Hosokawa a puisé son inspiration pour le cycle Voyages directement de l’opposition entre intérieur et extérieur : il en fait le principe de base de ces compositions concertantes comme suit : « Le soliste symbolise un être humain qui jette une chanson à l'ensemble / orchestre représentant l'univers renfermant l'être humain, et l'univers répond à la chanson. La chanson atteint l'univers et la réaction revient à l'être humain. Hosokawa a appelé le processus de ces échanges Voyage, et a pensé qu'un sentiment d'unité se développe entre les êtres humains et l'univers à travers le voyage. »[7]


L’unité est une conception très présente dans la culture de l’Asie de l’Est. Dans le Taiji[8], l’ensemble de Yin et Yang[9] fait une unité ; l’art de la danse coréenne repose sur une tension contrôlée entre la gravité et la légèreté à l’aide de la respiration abdominale « tanjŏn hohŭp »[10], ce mouvement circulaire du corps suspendu représente le point d’équilibre entre la terre et le ciel, suivant les principes ascendants et descendants du Yin et du Yang qui gouvernent le corps dansant et le soumettent à la gravité.


Ainsi, Voyages est basé sur l’idée de réunir ou de connecter ce qui est contradictoire ou à l’opposé, comme les deux extrémités que sont le ciel et la terre. L’homme, étant au milieu de ces extrémités, est à l’évidence dans le cercle de l’univers. Hosokawa cherche ici à connecter deux autres extrémités : le visible et l’invisible. Il utilise donc la musique pour relier les deux mondes du visible et de l’invisible. La musique, matériau invisible permet ainsi de rendre matériel un monde immatériel tout en nous permettant d’effectuer le trajet, le Voyage, entre les deux.



2) Jardin japonais et perspective


Une autre lecture de l’espace peut être faite via la conception japonaise du jardinage. « Dans les jardins japonais, les caractéristiques naturelles du fond (Hintergrunds) sont prises en compte, puis le jardin est aménagé. Les montagnes et le ciel sont importants pour ce fond, mais la puissance de la nature, qui va au-delà des calculs du système, devrait y jouer un grand rôle. De subtils changements dans la lumière du ciel, la couleur des montagnes dans l'alternance des saisons dépasse les calculs de l'horticulteur. »[11] Dans son écrit, Hosowaka explique que lorsqu’il pense à la perspective, c’est-à-dire au rapport entre le premier plan et l’arrière-plan, il veut exprimer l’infinité des possibilités qu’elle offre, tout en illustrant des hasards que la nature rend si bien, tel que le moment du lever et coucher du soleil ou les nuages passant.


Quand les jardiniers japonais conçoivent un jardin, ils prennent en considération des évènements naturels comme le lever ou le coucher du soleil et leur influence sur les couleurs, et des éléments d’arrière-plan. Certes, un jardin est un espace à part entière, mais il est défini en partie par des paramètres extérieurs provenant de l’univers dans lequel il est situé (un rocher dans le jardin sera placé en fonction des montagnes en arrière-plan). Les jardins présentent ainsi de nombreuses apparences différentes en raison des changements constants du temps, de l'espace et les choses telle que la lumière du ciel.


Ainsi, Hosokawa traite les changements de son comme les changements de lumière. Afin d'entendre le son du changement, il faut être attentif à chaque instant : dans la seconde où l'on entend le son, on se souvient de la seconde précédente et essayons de découvrir la seconde suivante.[12] Il réutilise ce concept pour sa pièce Tenebrae pour chœur d’enfants :

« Le chœur est organisé en deux groupes, un avant et un arrière. L'arrière sert de toile de fond aux groupes avant. Je pensais que j'essayais de faire réapparaître les mots du texte latin de « Tenebrae » et de créer le lieu où les mots sont prononcés. »




3) « Ma » en tant que connexion spatiale


En occident, les musiciens se synchronisent par la définition et l’entretien d’une pulsation commune. Celle-ci est rigoureusement mesurée, découpée, et maîtrisée. Dans la musique de Hosokawa, le ma-espace permet de synchroniser les musiciens par le ressenti commun. C’est une collectivisation de la conception de « ma » dans la partie IV.

« Le ma est alors un principe auquel le musicien fait appel afin de donner un sens esthétique à ce rapport spatiotemporel entre le musicien, le silence, la musique qu’il interprète et l’auditeur. »[13]

Entre musiciens Voyages utilise ce concept de connexion entre les musiciens par un ressenti collectif du fait que ce soit une oeuvre collective. Une explication claire des particularités engendrées est donnée par Bruno Deschênes :


« Dans les arts traditionnels japonais, ma peut être traduit par synchronisme[14] relativement à l’utilisation de l’espace et du temps par l’acteur, le danseur ou le musicien dans son rapport aux autres artistes partageant la scène avec lui ou avec elle. Ce synchronisme n’est pas calculé et contrôlé, mais ressenti intersubjectivement. » [15] Entre musiciens et auditeurs Lors d’un concert, le public ne prend pas forcément part à l’exécution musicale mais se trouve de fait dans cet espace, ce moment particulier. Il en fait donc pleinement partie; la relation créée avec entre lui et les musiciens est différente. « Et de plus, le bon musicien sait laisser place à l’auditeur afin de lui permettre de ressentir intersubjectivement le beau qu’il désire lui faire ressentir. En ce sens, le ma peut être conçu comme une esthétique de l’intersubjectivité par lequel le musicien ne dicte pas à l’auditeur quoi ressentir, mais l’évoque, similairement au poète dont les poèmes cherchent à évoquer chez le lecteur des images et des états d’âme au-delà des mots. » [16]


Cette synchronisation collective des musiciens va créer une présence qui invite son auditeur à sentir la beauté. L’espace est donc élargie dans toute la salle de spectacle, du concert, du théâtre. La musique créée une connexion affective plus profonde et évoquer l’émotion.



[1] Katō Shūichi(1919-2008), est un historien des idées, encyclopédiste et médecin japonais.

[2] Voir Bruno Deschênes

[3] Ibid

[4] Concerto pour cor (2010)

[5] Dans son interview à la Philharmonie de Berlin avec le soliste Stefan Dohr juste avant la création

[6] Voir Toshio Hosokawa, 1995 [7] Dans la description de l’édition Schott pour Voyage V, pour flûte et l’orchestre de chambre

[8] Ici comme philosophie : une notion essentielle de la cosmogonie chinoise. Il représente la poutre faîtière d'une toiture alliée à l'idée d'ultime, évoquant en philosophie chinoise l'idée de la suprême poutre faîtière de la structure de l'univers, la clef de voûte indifférenciée d'où apparaissent le yin et le yang.

[9] Liés par leur étymologie à des oppositions concrètes entre ciel couvert et ciel dégagé, ombre et lumière, le yin et le yang sont à la fois, opposées et complémentaires.

[10] Plus précisément la respiration du « dantian » qui situe entre un pouce et demi à trois pouces sous le nombril.

[11] Voir Toshio Hosokawa, aus der Tiefe der Zeit

[12] Voir Shu-Ting Yang, 2008

[13] Voir Bruno Deschênes

[14] Selon Bruno Deschênes dans la référence son écrit, « Similairement à la signification suivante du terme anglais timing : le sens par lequel nous faisons quelque chose au bon moment. »

[15] Voir Bruo Deschênes

[16] Voir Bruno Deschênes

 
 
 

© Yite Chang 張懿德

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